le controle

Toute ma vie, j'ai eu peur de perdre le controle.

Enfant, j'ai controlé mes réactions, mes paroles, mes actes, mes expressions ...Je disais "oui"quand je criais "non" à l'intérieur,je souriais quand je pleurais à l'intérieur,je parlais avec mesure,calme et de façon raisonnée quand je hurlais à l'intérieur. Et tout ça pour quelle raison? Pour ne pas perdre l'amour de mes parents que je sentais si fragile et si conditionné à mon comportement, pour les aider, et ne leur poser aucun problème,eux qui avaient tant de mal à vivre leur propre vie, eux qui étaient dépressifs, angoissés,plein de deuils à jamais non faits,plein de conflits non résolus ...

Et tout ça pour quel résultat?Quel prix ai-je payé pour avoir imposé le controle absolu sur mon être véritable?Mon corps s'est vite rebellé, m'informant de la vérité d'un fait : dans la vie, on ne controle rien!

Adolescente, j'ai commencé à manger pour me consoler, pour combler mon vide intérieur et la solitude dans laquelle j'avais accepté que mes parents m'enferment, et dans laquelle je me suis abimée, m'isolant de ma meilleure amie, moi, ne sachant plus, à force de donner le change, qui j'étais, ce que je voulais, ce que je ressentais, ce que j'aimais, ce dont j'avais besoin.La nourriture a agi comme un baume,mais aussi comme le signe (feu rouge! panneau stop! gyrophare!)que mon corps était incontrolable par moi, et que la plus sage des attitudes était de l'écouter car lui était mon être véritable, mon ami, mon moi, et lui seul savait ce qui est bon pour moi.

Aujourd'hui encore, avec ma mère, je ne dis jamais ce que je pense vraiment, et je ne fais jamais ce que je veux vraiment. Toute mon attitude est controlée pour ne pas déplaire à ma mère, de pas la contrarier. Avant, il s'agissait de ne pas perdre son amour en ne la contrariant pas , maintenant, il s'agit de ne pas la faire souffrir en ne la contrariant pas. Toutes ces années, ma mère s'est rendue inattaquable. Elle était trop déprimée pour être contrariée encore plus, maintenant elle est trop vieille, trop malade, trop souffrante, trop seule, trop déprimée pour être contrariée encore plus. Et elle n'a surtout jamais voulu améliorer sa situation et se rendre moins malheureuse ou moins douloureuse. Si elle avait été heureuse et équilibrée, elle aurait été suffisamment forte pour supporter mes critiques. Or, cela, elle ne le veut pas du tout !! 

Son entêtement, son attachement à son malheur a donc une explication toute simple: elle se protège ainsi de ma colère. Elle a toujours su entretenir son malheur, comme un bouclier contre des attaques extérieures. On n'attaque pas celle qui est déjà à terre et qui en plus nous a donné la vie! Cela est inadmissible . Elle désamorce ma colère en me culpabilisant d'avance. Les rares fois où j'ai tenté de lui expliquer ma propre souffrance et sa responsabilité partielle , elle m'a bien vite découragée de poursuivre par ses larmoiements. Je fais pleurer ma mère, je fais souffrir ma mère, honte à moi!!

Mais pendant ce temps, je n'arrive pas à vivre ma propre vie, mon corps me le rappelle tous les jours. Alors il faudra bien que je lui dise à un moment ou à un autre ce que j'ai sur le coeur, même si c'est sur sa tombe que je le lui dirai, faute d'avoir pu avoir le courage de l'affronter vivante.

Dans la vie, on n'a que peu le controle, et lacher prise est sans doute le plus raisonnable et le plus difficile de tous les choix. Je veux apprendre à écouter mon corps, qui lui ne m'a jamais trompée et m'a toujours envoyé des signaux d'alarme, que je souhaite apprendre à entendre.