Pour mon papa
Texte dédié à tous ceux et celles qui souffrent de la maladie d'Alzheimer, soit parce qu'ils en sont les victimes , soit parce qu'ils soutiennent un proche . Dédié aussi à tous ceux qui ont perdu quelqu'un qu'ils aiment .
Papa est décédé un 11 juin
De sa souffrance il s'est libéré , enfin .
Alzheimer est une maladie bien amère
Mon papa en a longtemps souffert
Perdant peu à peu tous ses repères
Dépossédé de son essence
Vidé de toute présence
Ne recelant plus que de l'absence
Une vie sans mémoire
Comme une commode sans tiroir
Un oiseau privé de ses ailes
Un mois de décembre sans Noël .
Si les yeux sont le reflet de l'âme
Les siens étaient vides de toute flamme
Il n'était plus qu'un corps hébété
Qu'il ne savait même plus alimenter
De sa vie , il avait tout oublié
Esprit mort , sans futur ni passé
Une existence d'une totale absurdité
Sans envie, sans plaisir , sans partage ni gaieté
Juste une enveloppe imposante
Des autres totalement dépendante
Un vivant immobile et muet
Anéanti, creu , paralysé
Un vaisseau fantôme à la dérive
Sans capitaine, ni âme qui vive
Quatre murs lézardés
D'une maison abandonnée
Vide de ses habitants
Et livrée à tous les vents
Juste un monstrueux bébé
Qui n'évoluera jamais
Alors on lui parle , on remplit son silence
On rit , on plaisante , malgré son indifférence
On s'inquiète de savoir s'il a bien mangé
Comme si ceĺa allait changer sa destinée
On passe un moment en sa compagnie
Avant de retourner dans la vraie vie
On le laisse avec ceux qui lui ressemblent
Tous ces naufragés du cerveau qui vivent ensemble
Et on est soulagé lorsqu'on quitte son ehpad
Un peu triste, on fuit tous ces malades
Enfermés à double tour dans leur centre aseptisé
Où tout est fait pour maintenir en vie ceux qui l'ont désertée.
Aujourd'hui, cela fait dix ans et un jour que tu t'es envolé
Je savais , avant de décrocher le téléphone, ce qui allait m'être annoncé
Cette mort que j'attendais depuis si longtemps
Je l'avais rêvée dans ton sommeil, calmement
Mais tu résistais, malgré ton abîme insondable
Chaque matin tu t'éveillais , imperturbable
Et le calvaire recommençait, immuable
Maman excédée , masochiste inavouable
Qui continuait malgré tout, au delà de sa résistance
La prise en charge maladroite de ta détresse immense
Jusqu'à ce qu'enfin, tu vives en établissement adapté
Pour deux ans , avant ton départ pour la douce clarté
Merci à la bactérie qui est passée par tes poumons
Et qui est devenue l'instrument de ta libération
Grâce à l'hôpital et ses nombreux résidents
Membres de la communauté des germes résistants
Tu as pu abandonner enfin ton carcan charnel
Et rejoindre dans la lueur ton âme éternelle .
La méditerrannée, que tu as traversé dans la tourmente,
Près de laquelle tu as toujours vécu
Que tu aimais tant ,
Je t'aime Papa