Mom
Maman
Je voudrais te dire tant de choses
Tous ces petits riens qui sont tout
Tout ce que j'ai toujours enfoui au fond de moi
Pour être lisse à l'extérieur, sans histoire, sans problème,
Pour ne pas te fatiguer , pour passer inaperçue et raser les murs,
Pour que tu sois contente, pour que tu cesses de serrer les dents,
Pour que tu souris , pour que tu me dises oui, pour que tu joues, pour que tu me parles,
Pour que tu m'écoutes, pour que tu sois heureuse de m'avoir pour fille,
Pour que tu perdes du temps en le consacrant enfin à l'essentiel
Pour que tu prennes du plaisir à être maman , pour atteindre cette utopie,
Pour vivre au pays imaginaire des bisounours
Pour que mon enfance soit une fête, pour que la vie soit belle
Ou juste pour que tu ne cesses pas de m'aimer
Retenir ton affection qui me semblait si ténue et apaiser ton équilibre si fragile,
Je ne prétends pas connaitre les méandres de ton âme tourmentée
Je ne veux pas non plus commettre l'erreur de faire peser sur toi la responsabilité de mes choix de vie
Je veux juste te parler, me dire, sans fard ni grimace, sans plus faire semblant d'aller bien
Sans plus sourire quand j'ai envie de pleurer, sans plus acquiescer quand je suis tentée de hurler
J'envie et j'admire ma grande soeur qui avait le courage d'exprimer sa colère
Moi , je me taisais, je ravalais tous mes mots et tous mes maux
J'apprenais que pour survivre, il me fallait nier mes propres émotions
Il me fallait me conformer aux désirs névrotiques de toi, maman
Même si , pour atteindre ce but, je me déformais
Surtout pas de vagues, une mer d'huile , qui dit oui sans cesse, ne contredit jamais
Pour ne pas suffoquer une mère asphyxiée par son mal-être
Le prix de l'amour maternel est un crédit à un taux démesuré
On ne cesse jamais vraiment de le payer, encore et encore ,
Au mépris de sa propre vérité, sa propre identité,
Ma survie d'alors a engendré ma névrose actuelle
Se nier et se taire, équivaut à se tuer à petit feu
Mes problèmes à moi n'intêressaient personne
Mes tourments à moi, n'existaient pas en pleine lumière
Pourtant ils grossissaient dans l'ombre
Tels des monstres tapis dans un placard
J'ai avalé pour me consoler, seule et révant un avenir idéalisé
La nourriture est devenue mon refuge et ma deuxième maman
Celle qui était disponible et qui , par tous les temps, m'accueillait
Pour me cajôler entre ses bras, et atténuer mes douleurs
Auprès d'elle, je pouvais enfin être moi-même,
Pleurer quand j'étais triste, rager dans je fulminais
C'était mon seul espace de liberté, enfermé entre quatre murs
Elle seule, ne me jugeait pas, avec elle, je n'avais pas besoin de me conformer
Ni de rentrer dans un rang où je m'étouffais, ni de nier ma propre identité
Mais elle a aussi ses propres limites , elle ne dit rien , et au final, elle aussi fait du mal
Elle est tout aussi insidieuse que l'amour toxique d'une mère dépressomasochiste
Elle est un leurre, une consolation qui ne dure pas, parce qu'elle n'est pas adaptée au problème
Et elle devient au fur et à mesure un méfait pour la santé du corps et de l'esprit
Parce que tout ce dont j'avais besoin hier c'était de ressentir que tu m'aimais de façon inconditionnelle
Même si j'étais moi-même, avec mes idées, mes émotions, mes sentiments différents des tiens
Même si je pouvais ne pas te plaire, j'avais besoin d'être assurée de ton amour et de ton soutien
Au lieu de vivre dans l'insécurité et la précarité des sentiments
M'enchainant au rôle de composition que j'avais décidé de jouer
Je renferme un réservoir de colère en moi , contre toi, contre ta névrose,
Contre ce couple que tu as formé avec papa, chacun entrainant l'autre dans votre spirale malsaine
Et m'incluant volontairement au milieu de vos dysfonctionnements d'adultes
Ce n'était pas juste , quelles qu'aient été vos intenses souffrances, de me les faire subir
Je n'étais qu'une enfant qui voulait vivre et être heureuse, je n'étais pour rien dans tout ça
Je vous en veux à tous les deux pour votre toxicité et pour la douleur que cela a engendrée chez moi
Vous n'êtes pas les seuls responsables, il y a aussi mes propres choix, j'en suis la seule décideuse
Il m'a manqué un "coach" proche de moi pour m'entrainer dans une rébellion salutaire
Mais j'étais la dernière, isolée, trop petite, trop jeune, trop seule, pas assez audacieuse
Et puis peut être aussi suis-je trop sensible, trop exigeante , avec un trop fort besoin d'amour
Qui sait ?
Je suis sûrement trop tout .
Dans tous les cas, et quoi qu'il en soit
Je t'aime Maman.
Embarquement pour l'enfance non idéale, imparfaite, brinquebalante, précieuse .
On aurait pu avoir eu bien mieux mais on n'a eu que ça
On aurait pu avoir eu bien pire !
Soyons résilients , pas affligés .